Chantier bloqué à la gare du nord : « imprévisibilité » ou imprévoyance ?
La Gare du Nord est un point essentiel du tracé du métro 3. Cette station doit à la fois servir de terminus et d’arrière-gare pour la mise en service du tronçon sud (Albert-gare du Nord) et permettre la connexion avec le tronçon nord (gare du Nord-Bordet) pour lequel aucun permis n’est délivré et aucun plan de financement élaboré.
Le tracé prévoit un passage sous les rails de chemin de fer entre la rue du progrès et la rue d’Aerschot. En plus de construire le tunnel sous le grill du chemin de fer, il s’agit également d’enfermer une nappe dans une galerie entre deux dalles de béton (au-dessus du tunnel du métro et en-dessous des rails de train).
Entamés en mars 2021, on apprend en février 2024, par voie de presse, que les travaux sont en fait à l’arrêt depuis avril 2023 et que des solutions techniques sont « à l’étude » depuis lors. Ce blocage avait été exposé par le directeur de Beliris en commission Mobilité du parlement bruxellois un an auparavant (18/4/23) sans que la presse n’en fasse écho. En cause ? La nappe phréatique : plus haute et importante que prévu (on parle ici d’une nappe « perchée »), il a été impossible de pomper suffisamment d’eau pour la rabattre au moins temporairement à un niveau permettant de construire les deux dalles chargées de la contenir.
S’il est incroyable d’entendre que les niveaux des nappes n’étaient pas connus avant le début d’un tel chantier, la justification dont se prévaut le maître d’ouvrage pour expliquer ce fiasco ne l’est pas moins. Le problème, selon le directeur de Beliris, c’est qu’il n’a pas été possible de réaliser complètement les tests hydrogéologiques en raison de la lourdeur de la procédure permettant d’interrompre le trafic ferroviaire. En effet, une telle interruption requiert d’introduire une demande bien en amont (2 ans) auprès d’Infrabel. La campagne de tests menée par Beliris n’a donc duré que 4h, et a buté sur des points rocheux empêchant d’aller plus en profondeur. Il semble donc que c’est à l’aveugle et en se fiant à la chance que les travaux sous la Gare du Nord ont débuté.
Tout comme pour le Palais du Midi, c’est en dépit de toutes les alertes qui avait été émises concernant la structure du sol bruxellois, et malgré l’incomplétude des tests hydrogéologiques que Beliris s’est obstiné à mettre le quartier de la Gare du Nord en chantier. À nouveau, c’est la logique du fait accompli qui prime sur celle de la planification intelligente et raisonnée.
Chiffres de fréquentation : le métro 3 est-il justifié ?
Certains experts estiment qu’un métro peut se justifier à partir de 10000 passagers par heure et par sens (p/h/s) et ne devient rentable qu’à partir de 8000 p/h/s (hors coût de construction des infrastructures)1. L’accord de majorité 2009-2014, dans lequel est inscrit le projet de Métro 3, avait quant à lui établi le seuil de 6000 p/h/s. L’étude d’incidences portant sur l’extension du métro vers Bordet a finalement montré que la charge maximale ne serait que de 5741 p/h/s. Bref, si le gouvernement avait respecté le seuil qu’il s’était lui-même fixé pour justifier le Métro 3, il aurait logiquement dû renoncer au projet.
Il faut souligner que la charge de 5741 p/h/s à laquelle aboutit l’étude d’incidences, rédigée avant la pandémie et le confinement, ne prend évidemment pas en compte l’évolution des pratiques de mobilité provoquée par l’essor du télétravail. De même, elle n’intègre pas les dernières projections démographiques, qui indiquent une diminution de la population régionale d’ici 2070 (-4 %). Dès la fin des années 2040, « la croissance de la population reste positive seulement en région flamande » nous apprend également le Bureau du Plan.
Source : Bureau du Plan
Pour actualiser les prévisions de fréquentation au regard du télétravail, il serait pertinent et utile de de connaître précisément les chiffres de fréquentation des trams appelés à disparaître avec la mise en service du Métro 3, idéalement ligne par ligne, heure par heure.
Il se trouve qu’une députée régionale a récemment posé une question parlementaire à ce sujet. Plus précisément, a été demandé à la STIB de fournir, ligne par ligne, heure par heure, les chiffres de fréquentation des lignes 3, 4 et 55 pour la période 2020-2022, c’est-à-dire les années où l’essor du télétravail a été important en raison des confinements successifs.
Pour les trams 3 et 4, à en croire le graphique ci-dessous, la STIB ne semble pas connaître (ou disposée à faire connaître) le nombre de voyages effectués sur ces lignes en 2020, 2021 et 2022 : « 2020-2022 : crise covid, données pas disponibles ». Nous peinons à comprendre le lien entre la pandémie et la (non) disponibilité des données de fréquentation, qui peut être mesurée à travers les validations Mobib ou grâce à des capteurs photoélectriques à l’entrée des véhicules (compteurs dits « CoVo »). Par ailleurs, le cadrage temporel est problématique : la « crise covid » ne comment pas au 1er janvier 2020 pour finir le 31 décembre 2022 : les premières mesures datent de mars 2020, et les dernières restrictions sont levées à la fin du premier semestre 2022.
Source : Parlement bruxellois
Au-delà des problèmes de publicité de l’information que soulève ce graphique élaboré par la STIB, il est vrai qu’un métro offre par définition plus de capacité qu’un tram. Ceci dit, le Métro 3 a été justifié sur base d’un « boom démographique » qui n’a finalement pas eu lieu. En outre, la fréquentation escomptée, déjà insuffisante pour justifier le mode métro, devrait être recalculée à la lumière des nouvelles pratiques de mobilité et des récentes projections démographiques. Selon nous, une mise à jour des estimations de trafic sur la future ligne démontrerait encore un peu plus le caractère inopportun du Métro 3.
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F. Dobruszkes en T. Duquenne, “Métro ou tramway ? De l’effet des densités de population et des répartitions modales à Bruxelles”, Recherche Transports et Sécurité, n°85, pp. 221-240. ↩
La desserte du centre-ville et le terminus à Rogier
Depuis presque vingt ans, le nombre de lignes dans l’axe Nord-Midi n’a fait que baisser. Avant la restructuration du réseau de 2006-2009, six lignes étaient exploitées, contre deux actuellement. Avec le projet de Métro 3, seule une ligne circulerait sur le tronçon.
Cette diminution n’a fait qu’augmenter la pression sur le terminus à Rogier où, après la mise en service du Métro 3, de nombreux trams seront limités : outre le 25 et le 55, les 10 et 22 à venir. Or, de par sa conception difficilement améliorable, ce terminus a une faible capacité et est incapable de recevoir plus de 22 trams par heure. Limiter les lignes de trams à la gare du Nord serait une très mauvaise idée : cela induirait une correspondance obligée non plus seulement pour rejoindre le centre, mais même pour atteindre l’extrémité nord du Pentagone (à savoir atteindre la station Rogier).
Face à cette situation, deux pistes non exclusives pourraient être envisagées :
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Restaurer un réseau plus maillé, à l’instar de ce que propose le Prémétro+, en faisant circuler 3 lignes aux 6 minutes. Si cette solution induirait une augmentation des temps d’attente en bout de ligne (en moyenne 30 ou 90 secondes), celle-ci serait largement compensée par la suppression d’une correspondance. Cette piste ne requiert aucun investissement et est donc applicable sans délai.
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Établir un terminus à Rogier en surface, dans l’axe est-ouest. L’espace disponible le permet. Du côté Botanique, cela permettrait d’accueillir, par exemple, une ligne venant de la Chaussée de Haecht, mais aussi de la rue Royale. Cette formule requiert a priori la pose d’une double voie sur 500 mètres avec un raccordement à l’arrêt Botanique et l’aménagement du terminus à Rogier. Les travaux se font sur un site propre existant et ne nécessitent donc pas d’expropriation, ni de ce fait un délai très long. Notons que la STIB a déjà étudié et conclu à la faisabilité d’un axe tram en surface Nord-Rogier-Botanique.
Améliorations du tram 55
Comme l’indique le tableau ci-dessous, la plupart des arrêts (18 sur 32) est déjà accessible aux trams T4000, même si l’accès aux véhicules n’est pas idéal en certains endroits. Seize arrêts présentent une situation que nous estimons acceptable, quatorze mériteraient d’être réaménagés en vue d’accueillir des T4000, et deux présentent une situation sous-optimale (Van Cutsem, dans les deux sens). On le voit, exploiter la ligne 55 avec des trams 55 ne nécessite pas « la reconstruction de la plupart des arrêts de la ligne » comme le suggère la STIB, mais des aménagements relativement limités pour moins de la moitié d’entre eux. En outre, ces aménagements n’induiraient qu’une perte de 8 places de stationnement.
Démolir 15.000m2 d’équipements pour 120m de tunnel, retour sur la « nécessaire » démolition du palais du midi
La partie du tronçon Albert-Nord qui converti la ligne de prémétro en métro intègre depuis sa conceptualisation la création d’une nouvelle station (d’abord appelée « Constitution » puis rebaptisée « Toots Thielemans ») et d’une nouvelle jonction souterraine entre Toots et Anneessens. La raison d’être de cet appendice au réseau existant s’explique par la configuration de la station Lemonnier : le croisement souterrain avec les lignes de tram 82 et 51 et l’impossibilité d’y faire tourner à grande vitesse des rames de métro. Ainsi, la construction de la nouvelle station et du tunnel d’un bout à l’autre de l’avenue Stalingrad ont fortement impacté les commerçants, usagers et habitants voisins du Palais du midi entre 2019 et 2024. Certains commerçants devant être relogés dans un village de containers sur le centre de l’Avenue Stalingrad, un pacte « Toots » a été conclu entre la Stib, la Région et les communes pour accompagner et limiter les retombées négatives de ce chantier. Ce pacte à 10 millions d’euros n’a cependant pas empêché que le projet prenne la tournure la plus surréaliste et dramatique aboutissant à la décision de démolir le Palais du Midi.
En mai 2019, le marché d’exécution des travaux de construction du tunnel et de la station Toots a été attribué à la SM Toots (composée de BESIX, Jan De Nul Group et Franki Construct). Le chantier est entamé le 1er octobre 2020 par la station Toots et s’étale au fur et à mesure sur toute l’avenue Stalingrad avant de bifurquer un peu avant le passage du travail et sous l’aile nord du Palais du Midi. Avant la fin de la première année, les relations entre le constructeur et la STIB se tendent : chacun se renvoie la balle concernant les difficultés rencontrées dues à l’hétérogénéité du soussol et les risques géotechniques. Passer sous le Palais du Midi devait se faire par une technique de jet grouting : depuis les caves du Palais du Midi, deux rideaux étanches verticaux devaient être construits en créant une succession de colonne par injection de béton à haute pression. Une fois que ce couloir étanche était créé, il fallait réaliser une dalle de reprise de charge pour le Palais.
En janvier 2021, des essais complémentaires sont réalisés depuis les caves (les premiers essais géotechniques n’ayant été réalisés que dans le parking du Palais du Midi). Ces essais permettent de se rendre compte que le niveau d’argile est plus bas qu’attendu. Concrètement : en mai de la même année, l’entrepreneur coule du béton dans un puits afin de former un pilier d’une portance suffisante pour devenir un élément porteur du tunnel du métro. Cette procédure d’investigation en cours de chantier va se solder par une succession d’échecs. Lorsque le constructeur adapte sa technique au terrain, des problèmes de stabilité des parois à construire sont rencontrés.
La tension monte encore d’un cran entre la SM Toots et la STIB. Cette dernière impose la marche à suivre pour poursuivre le chantier (le jet grouting « optimisé ») et reçoit le devis de la SM Toots qui prévoit un doublement du budget prévu et un allongement de 8 ans du délai de réalisation. La STIB s’oppose à ces contraintes, le chantier est arrêté, les deux camps partent en justice. Nous sommes alors en septembre 2022, les commerçants du Palais du Midi et les habitants des quartiers Stalingrad et Lemonnier vivent au milieu d’un chantier gigantesque depuis 23 mois déjà.
En février 2023, lors d’une réunion de conciliation avec SM Toots, la STIB arrive à la conclusion que sa solution du jet grouting « optimisé » serait trop impactante pour les occupants du Palais du Midi : 4,5 ans de vibrations et de bruits extrêmes. Les commerçants du Palais du Midi ne décolèrent pas : L’évacuation du Palais du Midi est présenté comme la seule voie possible pour la poursuite d’un chantier qui, à technique égale, serait considérablement rallongé et deux fois plus coûteux. En haut lieu, on creuse alors la piste, informellement suggérée en juin 2022 par l’entrepreneur : « démonter » le Palais du Midi afin de permettre à des grues d’accéder au rez-dechaussée du bâtiment et de procéder à une construction classique en Cut-and-cover. Pour ce faire, l’entièreté du Palais du Midi doit être démoli (à l’exception des façades extérieures qui sont étançonnées). Le gouvernement bruxellois s’est ensuite attelé à publier une ordonnance dite « fast-track » pour accélérer la demande de permis de « déconstruction » de la Stib, réduisant les délais administratifs d’instruction de la demande au minimum.
En janvier 2024, lors de la seconde « réunion d’information du public » relative à la « déconstruction » du Palais du Midi, on rappelle que c’est la Ville de Bruxelles qui sera chargée de reconstruire à ses frais un nouveau Palais du Midi, indépendamment de toutes les actions portées par la SM Toots. Si le projet de la ville n’est pas prêt à temps, la STIB propose d’installer un parc public temporaire entre les façades étançonnées. De son côté, le bureau d’études Stratec réalise l’étude d’incidences pour la démolition du Palais du Midi dont on ignore si elle évaluera la pertinence du projet de métro dans sa globalité. En revanche, à en croire les auditions de la STIB des entrepreneurs Denys et Pierre-Marie Dubois en Commission Mobilité du Parlement bruxellois le 5 mars 2024, la proposition Prémétro+ n’a pas été étudiée par l’étude d’incidences comme alternative potentielle à la démolition du Palais du Midi.